Aurelien by Aragon Louis

Aurelien by Aragon Louis

Auteur:Aragon,Louis [Aragon,Louis]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
Éditeur: Gallimard
Publié: 1944-12-28T18:50:49+00:00


XLII

C’était un petit restaurant près des Halles, dans une rue encombrée, étroite, aux maisons dégradées, aux murs mal d’aplomb. On arrivait par un fouillis de triporteurs, de voitures à bras, à ces ferronneries peintes avec le bas de la maison d’une huile bordeaux, où la porte s’ouvrait, entre deux tréteaux avec leurs paniers d’huîtres dans la verdure de sapin, et une niche ogivale qu’avait désertée la Vierge ancienne ; et on tombait dans un boyau inauguré par un zinc et les gens du carreau, en bleus, qui prenaient un marc, pour atteindre la salle du bas, toujours pleine à midi, légèrement garée du mastroquet par un de ces paravents de bois pliable, ciré, qui venaient de faire leur apparition dans l’industrie.

Rose n’avait pas voulu y rester. Il y avait là un tas de journalistes, des gens qu’on connaît plus ou moins. Une femme comme elle n’est pas à l’abri de la curiosité. Tandis qu’au premier où menait un escalier en hélice avec un jupon usé de panne rouille festonnant dans le fer forgé, on était moins vu. C’était, après le lavabo, le vestiaire, trois petites pièces indépendantes, avec peu de tables et à demi vides le matin. La plus petite, occupée par une compagnie, qui faisait banquet, bruyante et rigolarde, la plus grande avec un couple discret, deux vieux messieurs à l’autre bout, et encore une espèce de tueur, algérien probablement, bizarrement acoquiné avec un monsieur trop soigné autour d’une montagne de Belons. Rose, après un coup d’œil appréciatif, avait choisi la table près de la fenêtre, sans personne autour. Et Blaise s’était assis en face d’elle, avec une angoisse de collégien.

Ce que le cœur lui avait battu, quand elle l’avait appelé ce matin-là au téléphone ! Il y avait plus d’un an qu’elle ne lui avait pas fait signe ainsi. Elle voulait déjeuner avec lui. Il avait inventé n’importe quoi pour expliquer sa sortie subite à Marthe. Mon Dieu, ce qu’il peut rester de jeunesse dans un vieux cœur !

« Alors, qu’est-ce qu’on prend ? »

Rose lisait le menu avec un intérêt extrême. Ce n’était pas une mauvaise boîte ici. Elle avait un très joli tailleur gris et un chapeau extravagant, des longs gants remontant sur les manches, qu’elle ne détacha que jusqu’aux poignets. Le miracle de jeunesse de ce visage merveilleusement malaxé de poudres et de crèmes. Et ce parfum qui faisait la continuité de Rose à travers les années. Quelle mine gourmande ! Quel intérêt d’enfant pour la nourriture ! Les yeux se plissaient dans l’hésitation du choix.

« Les hors-d’œuvre ici ne sont pas mauvais… mais tu as vu les Belons ? Je crois que je ne résisterai pas au chevreuil purée de marrons… »

Le patron se courbait en deux, un brun râblé, avec un pli rouge à la nuque. Il regrettait, mais il n’y avait plus de chevreuil. Maintenant, si Madame le permettait, il recommandait…

« J’ai envie de gibier, qu’est-ce que vous voulez ? une envie sauvage…

— Si cela fait plaisir à Madame, j’ai un faisan qui n’est pas marqué sur la carte… »

Ça, alors, du faisan ! Va pour le faisan.



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